La résistance aux médicaments antipaludiques en Afrique est une menace urgente pour la lutte contre le paludisme. Pour traiter le paludisme, l’OMS recommande six combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (CTA), qui allient des composés à base d’artémisinine et un médicament associé. La résistance partielle à l’artémisinine a été confirmée pour la première fois en Afrique, plus précisément en Érythrée, en Ouganda et au Rwanda, mais les experts estiment que le problème est probablement plus répandu. Cette résistance partielle à l’artémisinine augmente le risque d’émergence de novo d’une résistance aux médicaments associés et, surtout, la propagation de parasites moins sensibles aux médicaments associés, ce qui peut entraîner des échecs de traitement clinique. Étant donné la forte dépendance à l’égard des CTA en Afrique, qui concentre la majorité des cas, et le risque que la résistance à l’artémisinine représente pour notre capacité à assurer la qualité de la gestion des cas à l’avenir, la résistance aux médicaments est une menace qui doit être abordée de toute urgence. La gravité de cette menace pousse les partenaires mondiaux à se mobiliser rapidement, avant que ce phénomène n’entraîne des revers majeurs.
Les nouveaux traitements non basés sur l’artémisinine ne seront pas disponibles avant 2026, et le candidat le plus prometteur (ganaplacide-luméfantrine) repose sur le même médicament associé que l’artéméther-luméfantrine, la CTA la plus largement utilisée. En attendant que ce nouveau médicament soit disponible, préserver l’efficacité de la luméfantrine est donc une priorité absolue. Puisque les CTA restent le traitement principal du paludisme, les stratégies d’atténuation de la résistance à court terme se concentrent sur la diffusion à plus grande échelle des CTA de qualité et sur le soutien à leur utilisation optimale, parallèlement à d’autres démarches d’atténuation de la résistance aux médicaments.
Bien que de nombreuses options de CTA de qualité soient disponibles, le marché actuel des CTA n’est pas structuré de façon optimale pour limiter la pression médicamenteuse, et la dépendance excessive à une seule CTA pourrait être à l’origine de la résistance en Afrique. La plupart des pays africains utilisent l’artéméther-luméfantrine en tant que traitement de première intention et 30 pays africains utilisent exclusivement cette combinaison, bien que plusieurs pays aient inclus d’autres CTA parmi les options de première intention dans leurs directives de traitement. La part de l’artéméther-luméfantrine dans les achats de CTA financés par les donateurs est supérieure à 80 %. Avec une telle dépendance à l’égard de cette combinaison, la résistance partielle à l’artémisinine pourrait provoquer une situation d’urgence et déclencher la propagation rapide de la résistance à la luméfantrine, entraînant une augmentation des cas et des décès. Ce phénomène risquerait de compromettre le développement de l’option la plus avancée des solutions en cours d’élaboration.
Dans sa stratégie de riposte à la résistance aux médicaments antipaludiques en Afrique[1], récemment publiée, l’OMS recommande notamment de diversifier rapidement les marchés nationaux des CTA pour réduire la pression médicamenteuse. Dans cette stratégie, l’OMS demande également que la recherche s’emploie à combler les lacunes en matière de données probantes sur les approches innovantes (par exemple la multiplicité des CTA de première intention) pour améliorer l’utilisation des outils actuels, ainsi qu’à examiner la manière dont ces approches pourraient favoriser la lutte contre les facteurs de résistance. Pour diversifier les marchés des CTA, il serait judicieux de mener des interventions qui éliminent les obstacles à l’offre, créent de la demande pour les CTA dont le taux d’utilisation est limité et génèrent des données probantes sur des stratégies comme les traitements multiples de première intention (MFT) pour atténuer la résistance aux médicaments.
Certaines nouvelles CTA, en particulier l’artésunate-pyronadine (ASPY), offrent des possibilités de diversification du marché des CTA. L’artésunate-pyronadine est disponible depuis 2019, mais, bien qu’il ne requière d’être pris qu’une fois par jour, l’adoption de ce traitement est faible, principalement en raison de son prix élevé (trois à quatre fois le prix de l’artéméther-luméfantrine), du dosage par tranches de poids spécifiques et de problèmes de sûreté initiaux, quoique désormais résolus. Le prix élevé de l’artésunate-pyronadine est dû aux faibles volumes/à la faible demande, à l’absence de concurrence et aux coûts élevés du principe pharmaceutique actif, la pyronadine. La dihydroartémisinine-pipéraquine est elle aussi moins exigeante quant au nombre de comprimés à prendre, et sa part de marché a récemment augmenté, mais il n’y a qu’un seul fournisseur de la formulation adaptée aux enfants dont la qualité est garantie et les prix sont également trois fois supérieurs à ceux de l’artéméther-luméfantrine. Bien que cette combinaison présente un risque de développement d’une résistance en raison de la longue demi-vie de la pipéraquine, une surveillance étroite peut garantir une détection précoce accompagnée d’une démarche de suivi.
Il convient de s’atteler à mieux structurer le marché de l’offre pour rendre l’artésunate-pyronadine plus abordable et augmenter la capacité de production des fournisseurs. Les partenaires de la lutte contre le paludisme développent actuellement des interventions sur le marché, par exemple une garantie de volume et l’évaluation de la nécessité d’un dispositif de co-paiement apte à compenser les prix plus élevés. Parmi les autres interventions étudiées par les partenaires figure la réduction du coût de la pyronadine en tant que principe pharmaceutique actif. Il est nécessaire de générer de la demande pour l’artésunate-pyronadine afin d’en développer le marché et d’en faire baisser les prix. Pour cela, il convient notamment de soutenir l’adoption rapide de ces combinaisons et de tester de nouvelles méthodes de distribution afin de combler les principales lacunes en matière de données probantes. Ces mesures viendraient compléter d’autres initiatives prévues ou envisagées, notamment une garantie de volume, des achats groupés, un dispositif de co-paiement, l’apport d’une assistance aux nouveaux fournisseurs d’artésunate-pyronadine pour leur faciliter l’entrée sur le marché, et l’apport d’une assistance technique aux pays pour l’élaboration de politiques nationales et de stratégies en faveur des traitements multiples de première intention.
[1] L’OMS a lancé la stratégie de lutte contre la résistance aux médicaments antipaludiques en Afrique le 18 novembre 2022, à l’occasion de la Semaine mondiale pour un bon usage des antimicrobiens (https://www.who.int/publications/i/item/9789240060265). Dans cette stratégie, l’Organisation propose que les pays, les organismes régionaux et les partenaires mondiaux répondent à cette menace en s’appuyant sur quatre piliers d’action. Dans le Pilier II, l’OMS recommande de diversifier rapidement les marchés nationaux des CTA afin de réduire la pression médicamenteuse.