L’anémie est un problème de santé publique persistant, particulièrement courant dans les pays à revenu faible ou intermédiaire et au sein des populations qui vivent dans des conditions de pauvreté et d’exclusion sociale. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime que 40 % des enfants de 6 à 59 mois sont touchés par l’anémie[1], dont la forme sévère peut s’avérer délétère pour le développement mental, moteur et cognitif. Les enfants atteints d’anémie sévère sont exposés à un risque accru de mortalité et de morbidité, et des études indiquent que l’anémie peut être à l’origine de 29 % des admissions infantiles, et jusqu’à 10 % de la mortalité à l’hôpital[2]. Les enfants admis à l’hôpital avec une anémie sévère sont exposés à un risque de décès après leur sortie cinq fois plus élevé que les enfants non anémiés, ainsi qu’à un risque important de réadmission[3]. Les progrès pour atteindre les cibles mondiales en matière d’anémie sont lents.
Le paludisme est considéré comme un facteur majeur d’anémie infantile. Les nourrissons et les enfants font partie des groupes les plus vulnérables à la transmission du paludisme ; sur les 608 000 décès imputables au paludisme enregistrés en 2022, 76 % concernaient des enfants de moins de cinq ans[4]. La progression vers les cibles mondiales en matière de paludisme reste elle aussi très lente, des millions de personnes n’ayant pas accès aux services de prévention, de détection et de traitement de la maladie.
Face à ce fardeau de santé publique, l’OMS a mis en avant la chimioprévention du paludisme comme intervention prioritaire pour réduire la prévalence de l’anémie[5], et intègre la chimioprévention du paludisme après la sortie de l’hôpital (CPSH) dans ses recommandations de prévention depuis 2022[6]. La CPSH consiste à administrer un traitement antipaludique complet à intervalles réguliers après la sortie de l’hôpital des enfants admis avec une anémie sévère, quel que soit le statut du paludisme, dans les environnements où le risque de transmission du paludisme est modéré à élevé. La CPSH vise à prévenir de nouvelles infections par le paludisme chez les enfants vulnérables dans la période qui suit une hospitalisation, alors que le risque de réadmission ou de décès est maximal. La recommandation de l’OMS s’appuie sur des données démontrant qu’une CPSH de trois mois est associée à une baisse de 77 % de la mortalité pendant la période d’intervention, et à une réduction de 55 % des réadmissions toutes causes confondues dans les six mois suivant la sortie de l’hôpital[7]. Des études montrent également que les stratégies de CPSH sont moins coûteuses et plus efficaces que la prise en charge standard pour augmenter l’espérance de vie ajustée selon l’état de santé[8].
Alors que les interventions de CPSH ont un potentiel transformateur pour les populations très vulnérables, leur adoption par les pays est lente et des obstacles majeurs à l’accès demeurent.
Malgré des résultats d’essais encourageants concernant l’impact et le rapport coût-efficacité de la CPSH, l’OMS n’a émis qu’une recommandation conditionnelle en raison de nombreuses lacunes dans la recherche. Les questions en suspens comprennent la durée optimale d’intervention dans différents contextes géographiques et de transmission, l’impact sur différents groupes à risque, des aspects liés au choix des médicaments, les stratégies d’amélioration à grande échelle de l’observance des patientes et des patients, la faisabilité de divers mécanismes de réalisation et le coût des différentes approches. Les réponses à ces questions de recherche permettraient de préciser les orientations de mise en œuvre planifiée émises par l’OMS.
Contrairement à d’autres stratégies de chimioprévention du paludisme, notamment la chimioprévention du paludisme saisonnier et la chimioprévention du paludisme durable, il n’existe pas de plateforme unique qui puisse être utilisée pour mettre en œuvre la CPSH. Des expériences pilotes ont adopté divers systèmes de mise en œuvre (p. ex. au niveau des structures ou par les agentes et agents de santé communautaires), mais la détermination de ces systèmes est le plus souvent laissée aux programmes de pays et ne figure pas dans la recommandation de l’OMS. De nouvelles orientations pourraient faciliter le choix des stratégies de réalisation les plus efficaces localement.
Des incertitudes demeurent quant au mode de déploiement le plus efficace de la CPSH lorsque d’autres stratégies de lutte contre le paludisme sont en place, notamment concernant la sécurité, la faisabilité et l’impact de la CPSH en présence d’autres interventions de chimioprévention du paludisme, mais aussi dans le contexte de différentes approches de gestion des cas. Il faudrait aussi déterminer le meilleur moyen d’optimiser la stratégie dans le cadre de la santé infantile au sens large, par exemple en combinaison avec des interventions ciblant l’anémie chez l’enfant, dans différents groupes d’âge et dans les admissions pour d’autres motifs qu’une anémie sévère.
Des obstacles liés à la demande et à l’approbation peuvent aussi freiner l’adoption de la CPSH à grande échelle. Des questions de coût et d’efficacité se posent dans certains cas, lorsque les ressources sont limitées compte tenu des priorités concurrentes. Il est non seulement nécessaire d’améliorer la sensibilisation à la CPSH, mais également de veiller à la préparation des systèmes de santé. Pour cela, il convient par exemple de former adéquatement le personnel, d’améliorer le recrutement et les liaisons avec les agentes et agents de santé communautaires, et de mettre en place des chaînes d’approvisionnement fonctionnelles pour la disponibilité des médicaments. Enfin, des freins interviennent au niveau des personnes soignées, comme la faible observance du traitement ou l’hésitation du personnel de santé quant à la posologie.
[2] Post-discharge morbidity and mortality in children admitted with severe anaemia and other health conditions in malaria-endemic settings in Africa: a systematic review and meta-analysis – PMC (nih.gov)
[3] Phiri KS, Calis JCJ, Faragher B, Nkhoma E, Ngoma K, Mangochi B, et al. Long term outcome of severe anaemia in Malawian children. PLoS One. 2008;3:e2903.
[4] Rapport 2023 sur le paludisme dans le monde. Genève : Organisation mondiale de la Santé ; 2023. Licence : CC BY-NC-SA 3.0 IGO
[5] Accelerating anaemia reduction: a comprehensive framework for action. Genève : Organisation mondiale de la Santé ; 2023. Licence : CC BY-NC-SA 3.0 IGO
[6] Lignes directrices de l’OMS sur le paludisme, 16 octobre 2023. Genève : Organisation mondiale de la Santé ; 2023. (WHO/UCN/GMP 2023.01 rév. 1). Licence : CC BY-NC-SA 3.0 IGO
[7] Phiri KS, Khairallah C, Kwambai TK, Bojang K, Dhabangi A, Opoka R, et al. Post-discharge malaria chemoprevention in children admitted with severe anaemia in malaria-endemic settings in Africa: a systematic review and individual patient data meta-analysis of randomised controlled trials. Lancet Global Health. 2023
[8] Economic evaluation of postdischarge malaria chemoprevention in preschool children treated for severe anaemia in Malawi, Kenya, and Uganda: A cost-effectiveness analysis – eClinicalMedicine (thelancet.com)