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D’une promesse à un impact : libérer le potentiel du lénacapavir pour mettre fin au VIH

Il est rare de voir apparaître un médicament véritablement révolutionnaire, capable de changer le cours d’une pandémie mondiale. Or, c’est exactement la promesse qu’offre le lénacapavir, un médicament de prévention du VIH.

Par Carmen Pèrez Casas, responsable technique d’Unitaid et responsable des Pandémies : prévention,
préparation et riposte.

Il est rare de voir apparaître un médicament véritablement révolutionnaire, capable de changer le cours d’une pandémie mondiale. Or, c’est exactement la promesse qu’offre le lénacapavir, un médicament de prévention du VIH. Deux injections sous-cutanées par année procurent une protection efficace contre la maladie. Pourtant, malgré son extraordinaire potentiel, le lénacapavir ne remplira pas ses promesses s’il n’est pas accessible – et rapidement – à toutes les personnes qui en ont besoin.

Un enjeu de taille

Le VIH continue de faire des ravages. Bien que les avancées scientifiques aient considérablement amélioré les résultats des traitements et confirmé l’efficacité des traitements qui préviennent la transmission, les antirétroviraux ne sont toujours pas accessibles à toutes les personnes qui en ont besoin. Dans environ 20 % des cas, le virus n’est pas contrôlé efficacement et continue de se propager. Sans vaccin à l’horizon et avec le succès mitigé des méthodes de prévention existantes, le nombre de nouvelles infections, soit 1,3 million par année, demeure alarmant.

Le lénacapavir est le premier outil de prévention qui fonctionne exceptionnellement bien pour les personnes à risque et qui est aussi d’une grande facilité d’utilisation. Il existe cependant des obstacles majeurs à l’équité d’accès au produit, à commencer par son prix. Si nous n’intervenons pas pour aligner le prix du lénacapavir sur le standard actuel des traitements préventifs (ce que l’on appelle la prophylaxie préexposition) – qui est d’environ 40 dollars US par personne et par année –, le nouveau médicament risque d’être hors de portée dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, où surviennent la vaste majorité des nouvelles infections à VIH. D’autres difficultés, notamment la production limitée, l’entrée possiblement tardive de fabricants additionnels sur le marché et les obstacles à l’accès pour les populations clés, risquent de garder cette innovation vitale hors de la portée des personnes qui en ont le plus besoin.

Le coût de l’inaction est élevé, non seulement pour les individus et la santé publique, mais aussi pour l’économie. Les milliers de nouvelles infections à VIH qui surviennent chaque jour totalisent au bout d’un an quelque 52 millions de dollars US en coûts supplémentaires de traitement, rien que pour les médicaments. Si aucun progrès significatif n’est réalisé pour réduire la transmission, ces coûts supplémentaires s’accumuleront année après année, pour totaliser 20 milliards de dollars US à la fin de la prochaine décennie. Ces projections ne sont pas inévitables. Mais sans une action décisive, elles risquent de se réaliser et de miner encore davantage la riposte au VIH qui est en stagnation financière.

Tirer les leçons d’une réussite : le modèle du dolutégravir

Unitaid est depuis longtemps à l’avant-garde des efforts visant à éliminer les obstacles à l’accès aux innovations essentielles dans le domaine de la santé, et le lénacapavir représente une occasion unique de mettre en pratique à grande échelle cette expérience. L’introduction, il y a dix ans, du dolutégravir, un traitement révolutionnaire contre le VIH, est un véritable modèle en matière d’équité d’accès. Après l’approbation initiale du dolutégravir en 2013-2014, les obstacles à son déploiement étaient nombreux, notamment son prix élevé, sa disponibilité limitée et le manque de données pour certaines populations, comme les femmes en âge de procréer.

Unitaid et ses partenaires ont coordonné leurs efforts pour lever ces obstacles. Ils ont financé des essais cliniques dans les pays à revenu faible ou intermédiaire qui ont démontré l’innocuité et l’efficacité du médicament pour les femmes, les enfants et les personnes co-infectées avec d’autres maladies, comme la tuberculose. Des accords de licence d’une vaste portée, la création de la demande et des garanties de volume ont facilité l’introduction de versions génériques abordables. Les incitations financières et le soutien à des formulations optimisées, notamment pour les enfants, ont comblé un déficit majeur pour les populations les plus vulnérables. Parallèlement, le financement catalytique a soutenu la préparation du système de santé, tandis que la collaboration avec les communautés et la société civile a stimulé la demande et l’adoption.

Résultat d’un effort de collaboration et d’une feuille de route claire, l’introduction du dolutégravir dans les pays à revenu faible ou intermédiaire a été réalisée dans les trois années suivant le lancement du médicament dans les pays à revenu élevé, soit trois fois plus rapidement que les traitements précédents. Aujourd’hui, plus de 24 millions de personnes utilisent des schémas thérapeutiques à base de dolutégravir, grâce aux efforts d’intensification des pays et des grands donateurs comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et le Plan d’urgence du Président des États-Unis pour la lutte contre le sida (PEPFAR). Disponible dans le monde entier au prix le plus bas jamais atteint pour un traitement contre le VIH – moins de 40 dollars US par personne et par année –, le dolutégravir devrait permettre aux pays et aux partenaires de la santé d’économiser huit milliards de dollars US d’ici 2030. Ce succès met en évidence l’efficacité d’une approche coordonnée sur plusieurs fronts visant à surmonter les obstacles à l’accès. Les mêmes stratégies doivent désormais guider notre travail avec le lénacapavir. Et nous devons le faire encore plus rapidement.

Une action urgente pour libérer le potentiel du lénacapavir

Heureusement, certains des premiers obstacles sur la voie du lénacapavir ont déjà été levés. Des essais cliniques rigoureux ont démontré son innocuité et son efficacité, y compris pour certaines des populations les plus vulnérables, comme les femmes enceintes et les adolescents. C’est un bon point de départ. Cependant, comme ce fut le cas pour le dolutégravir, d’autres obstacles doivent être surmontés avant que l’accès et l’impact atteignent une vaste échelle.

Pour que le plein potentiel du lénacapavir soit réalisé, trois éléments essentiels restent à solutionner : le prix, l’utilisation et le financement. Le prix demeure une question brûlante d’actualité : le lénacapavir coûte plus de mille fois plus cher que les comprimés oraux de prophylaxie préexposition courants. Des partenariats stratégiques et des interventions sur le marché sont nécessaires pour diversifier et intensifier la production et pour abaisser les prix à un niveau abordable le plus rapidement possible.

En ce qui concerne l’utilisation, les organisations locales et les leaders communautaires de confiance joueront un rôle de catalyseur essentiel pour l’adoption. Par contraste au dolutégravir, qui a été intégré sans heurt aux schémas thérapeutiques entièrement oraux existants, le lénacapavir est un outil de prévention injectable dont l’adoption nécessite des changements culturels et comportementaux et des adaptations du système de santé, en particulier dans les régions où l’adoption de la prophylaxie préexposition n’est pas encore généralisée ou qui n’ont pas d’expérience avec d’autres produits de prophylaxie préexposition à action prolongée. Dans les régions où l’accès aux soins de santé reste fragile pour les populations clés, un produit à action prolongée comme le lénacapavir offre une occasion unique de combler d’importantes lacunes.

L’adoption du lénacapavir parmi les populations qui n’utilisent pas déjà les méthodes de prévention existantes nécessitera un investissement initial. Cependant, la levée des obstacles à l’accès, qui s’accompagne d’une réduction des nouvelles infections et des coûts de traitement à vie, promet des économies importantes.

Trouver des moyens d’atteindre les personnes les plus nécessiteuses

Unitaid prend déjà des mesures concrètes pour ouvrir la voie à un déploiement à grande échelle du lénacapavir, en appliquant les enseignements tirés de l’expérience du dolutégravir pour lever les obstacles à l’accès. En outre, Unitaid investit 22 millions de dollars US supplémentaires pour accélérer l’accès au lénacapavir en Afrique du Sud avec son partenaire Wits RHI en collaboration avec la Clinton Health Access Initiative (CHAI), et au Brésil avec Fiotec.

Les projets pilotes appuyés par Unitaid ont pour objectif d’identifier et de mettre à l’échelle des traitements optimisés qui répondent aux besoins de prévention des personnes les plus exposées au VIH, comme les adolescentes, les jeunes femmes, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les personnes transgenres et non binaires. L’introduction du lénacapavir s’appuiera sur l’expérience de la mise en œuvre d’autres produits de prophylaxie préexposition à action prolongée, et permettra de mieux comprendre les aspects pratiques de la mise à l’échelle de cet outil innovant en attendant que les autorités réglementaires nationales donnent leur approbation. Il s’agira notamment de travailler avec les communautés pour tirer parti de leurs connaissances et répondre à des questions spécifiques, dans le but d’en arriver à une adoption rapide et à une administration efficace du lénacapavir.

Avec ce nouvel engagement financier, Unitaid aidera également des pays autres que l’Afrique du Sud et le Brésil à se préparer à l’adoption rapide du lénacapavir. Il s’agira de mobiliser les organisations de la société civile et les communautés touchées par le VIH, dont la participation est essentielle à la création de la demande. Il s’agira également de compléter le travail des pays et des partenaires comme le Fonds mondial, le PEPFAR et la Fondation Bill & Melinda Gates, afin que les systèmes de santé soient prêts à porter à grande échelle le lénacapavir le plus rapidement possible.

Parallèlement, Unitaid s’efforce de rendre le lénacapavir abordable et accessible par le biais d’interventions sur le marché dans le cadre de ses investissements existants. Par exemple, Unitaid accélère la production de produits génériques de qualité garantie au plus bas prix possible, en collaboration avec des partenaires comme Wits RHI et la CHAI. Ce travail est complété par un appui soutenu aux programmes mondiaux de lutte contre le VIH et de préqualification de l’OMS, au Medicines Patent Pool et à d’autres initiatives de propriété intellectuelle.

Nous espérons que, grâce à ces efforts concertés, les promesses du lénacapavir se matérialiseront en des impacts tangibles. Unitaid reste déterminée à travailler en étroite collaboration avec les communautés touchées, les pays et les partenaires afin de combler les lacunes qui subsistent et de réaliser des progrès dans un proche avenir.

La voie à suivre

Si nous n’agissons pas dès maintenant pour lever les obstacles à l’accès au lénacapavir, il faudra peut-être attendre plus de dix ans avant que celui-ci soit déployé à grande échelle dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Pendant ce temps, les nouvelles infections évitables pourraient se compter par millions, aggravant le fardeau économique et social du virus. En revanche, si nous investissons dès maintenant dans le lénacapavir, tout en continuant de traiter efficacement les personnes vivant avec le VIH, nous saisissons une occasion unique d’infléchir la courbe de l’épidémie de VIH, de sauver des vies et de réduire le fardeau à long terme des systèmes de santé.

Ce n’est pas le moment de prendre du recul. Des décennies de progrès nous ont amené à portée du point où le VIH ne sera plus une menace pour la santé publique, mais il est essentiel de combler les lacunes restantes et de maintenir la volonté politique d’agir de manière audacieuse et coordonnée pour mener la tâche à bien.

Le lénacapavir est plus qu’une simple percée dans la prévention et le traitement du VIH. Il offre l’occasion de changer la trajectoire de la pandémie et, avec des efforts de traitement efficaces, de mettre fin au VIH en tant que menace pour la santé publique d’ici 2030. Son succès dépend de notre capacité à agir de manière décisive et urgente. Les preuves scientifiques sont claires, les outils sont à portée de main et la voie est tracée. La question n’est pas de savoir si nous avons les moyens d’investir dans le lénacapavir, mais bien de savoir si nous avons les moyens de ne pas le faire.