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Au Malawi, les chefs de village prônent l’autodépistage du VIH

Par Sabrina Sidhu Les rumeurs malveillantes peuvent se répandre très rapidement. Les chefs traditionnels du district rural de Neno, dans le sud du Malawi, connaissent que trop bien leur nature destructrice. En mai dernier, ils ont craint que les rumeurs nuisent au nouveau service de santé mis en place, l’autodépistage du VIH, dont la réussite […]

(Image: Unitaid)

Par Sabrina Sidhu

Les rumeurs malveillantes peuvent se répandre très rapidement. Les chefs traditionnels du district rural de Neno, dans le sud du Malawi, connaissent que trop bien leur nature destructrice. En mai dernier, ils ont craint que les rumeurs nuisent au nouveau service de santé mis en place, l’autodépistage du VIH, dont la réussite repose sur son caractère strictement confidentiel.

L’autodépistage du VIH permet à chacun de vérifier s’il a été infecté par le VIH à l’aide d’un kit, et ce, dans l’intimité de son foyer.

« Il y a beaucoup de commérage dans nos villages, donc nous savions que des rumeurs circuleraient » explique Charles Kambalame, 44 ans et Chef du village de Chapita.

Pour vaincre la rumeur, les chefs de village ont menacé d’infliger une amende à toute personne colportant des rumeurs sur ceux qui auraient effectué un test d’autodépistage. « Nous avons fixé l’amende à une chèvre pour un adolescent et à un poulet pour un adulte qui déclarerait que telle personne a effectué un test d’autodépistage du VIH » précise Juma Douglas, 36 ans et Chef du village de Hariot.

Jusqu’à présent, aucune amende n’a été infligée, ce qui laisse penser que la menace seule peut avoir un effet dissuasif. Le soutien des chefs tribaux a contribué à une expérimentation consistant à permettre à chacun de recourir à l’autodépistage du VIH.

Grâce à cette mobilisation, les agents de santé communautaires comme Veronica Kapichi, 25 ans, peuvent se déplacer librement et répondre aux questions des personnes de tout âge dans la zone du groupe de villages de Chapita, regroupant huit villages, et situé à 15 kilomètres du centre de santé de Chifunga le plus proche. Veronica estime désormais être en mesure de rencontrer les gens chez eux pour leur expliquer comment utiliser correctement le kit d’autodépistage du VIH.

Le village de Chapita compte parmi les dix villages placés sous la supervision du Chef Charles Chibisa, le doyen des chefs locaux. Vêtu d’une magnifique tunique verte, le Chef Chibisa, 52 ans, est une figure imposante, entouré d’autres chefs de tribus plus jeunes. En tant qu’autorité traditionnelle dans la zone de Mulawuli depuis 15 ans, il se déplace avec l’assurance d’un homme très respecté au sein de sa communauté.

De part son influence en tant que doyen des chefs tribaux dans cette région, les opinions du Chef Chibisa ont beaucoup de poids. Il a joué un rôle déterminant pour convaincre le chef du groupe des villages de Chapita et les huit chefs de village sous la direction de ce dernier de soutenir cette initiative. « Nous avons choisi la zone de Chifunga, car elle est très éloignée du centre de santé le plus proche » déclare Chibisa.

Le Chef Chibisa a rencontré les chefs de village ainsi que la population locale et ils ont discuté des avantages que présente le projet d’autodépistage. « Il donne aux gens l’occasion d’effectuer un test d’autodépistage afin de pouvoir déjà connaître leur statut avant de se rendre à l’hôpital » indique Mlauli. « Si le résultat est positif, ils peuvent commencer le traitement rapidement ».

Le Chef Chibisa en compagnie de Debra Messing, ambassadrice de bonne volonté pour le Population Services International (PSI), en juin 2016 (Image: Eric Gauss/Population Services International)

Un agent de santé communautaire doté de moyens d’action

Veronica, l’agent de santé communautaire qui distribue des tests d’autodépistage du VIH à Chapita est bien connu des villageois. Au cours de l’année écoulée, elle leur a distribué des préservatifs et des contraceptifs. Elle a ainsi noué de bons rapports avec la communauté, et c’est la raison pour laquelle les jeunes s’adressent facilement à la charmante Veronica. Ils lui téléphonent parfois pour la rencontrer quelque part ou pour récupérer un kit à son domicile, car ils ne veulent pas que leurs parents en soient informés.

Outre leur domicile, elle rencontre également les personnes sur leur lieu de travail, ce qui permet de convaincre les hommes réticents à utiliser le kit chez eux.

Veronica s’occupe de huit villages et a une stratégie bien précise pour couvrir tous les villages. « Je prévois de visiter un village différent chaque semaine et de me rendre dans chaque maison, avant de passer au village suivant. Jusque-là, depuis que j’ai commencé je ne me suis rendue que dans trois villages et déjà des habitants d’autres villages viennent me parler », explique-t-elle de sa voix douce, en souriant. Bien qu’enceinte de huit mois de son second enfant, elle a déjà distribué 173 kits d’autodépistage du VIH.

La notoriété de Veronica au sein de cette communauté est telle qu’un couple, accompagné de leur neveu, s’est rendu à son domicile pour demander des kits.

« Les gens saisissent l’occasion d’effectuer un test d’autodépistage, car cela permet de réduire la distance à parcourir et le coût pour effectuer un test » déclare le Chef Chibisa.

On peut citer par exemple Rhoda Nyalapa, 45 ans et mère de six enfants, qui considère que l’autodépistage est très pratique, car elle peut utiliser à des fins plus productives le temps qu’il lui aurait fallu pour se rendre dans un centre de santé.

D’autres comme Watson, 29 ans, et ses amis, qui font un test tous les trois mois gagnent aussi beaucoup de temps. « L’autodépistage c’est mieux car c’est plus rapide et ensuite on a du temps pour discuter avec des amis et pour travailler » déclare McDonald, 20 ans.

« La plupart des hommes sont peu enclins à se rendre dans un centre de santé pour se faire dépister. Ils s’en remettent aux résultats de leur partenaire, et c’est ce que l’on appelle souvent un test par procuration », indique le Dr Karin Hatzold, Directeur de projet de l’initiative.

Il arrive parfois qu’un couple soit sérodiscordant, ce qui signifie qu’une personne est infectée, mais pas l’autre. « En tant que chefs de village, nous souhaitons favoriser l’unité et la coordination au sein du couple », déclare Michael Kambalame, 46 ans, Chef du village de Zimphungu, qui promet « d’aller de maison en maison pour expliquer l’importance de ce programme ».

Veronica Kapichi (au centre), avec deux autres agents de santé communautaires, Vileta et Henry. Ils distribuent tous des kits d’autodépistage dans le district de Neno. (Image: Sabrina Sidhu/Unitaid)

Réduire le temps et les coûts du dépistage

L’autodépistage permet non seulement de gagner du temps et de réduire les coûts, mais en outre, il s’effectue au moyen d’un écouvillon, ce qui s’avère moins intimidant que l’utilisation d’une seringue. Charles Chibisa peut en attester : il a été le premier à tester le kit et a trouvé que les instructions étaient faciles à comprendre, d’autant qu’elles étaient rédigées dans la langue locale, le chichewa.

« Nous allons travailler dur pour que ce projet porte ses fruits dans ma région, afin d’encourager d’autres personnes dans d’autres régions à réclamer la même chose », ajoute Charles Chibisa.

Et le bruit s’est déjà répandu à propos de l’autodépistage. « Des chefs viennent me voir pour me demander si cette initiative sera étendue à leur zone », confirme un autre Chef local, Kambalame Dziphango, qui est entré en fonction il y a quatre ans.

Grâce à leur ouverture d’esprit, ces chefs traditionnels ont permis de lever les obstacles afin d’apporter aux habitants des zones rurales du Malawi un service essentiel.

Réduire les coûts d’un test de dépistage du VIH

Ici, chaque minute compte ; en effet, la majorité de la population gagne sa vie en vendant du charbon de bois et doit pour cela parcourir de longues distances. Les autres vivent de l’agriculture, une activité qui prend également beaucoup de temps. « Pour nombre de villageois, aller au centre de santé n’est pas le plus urgent. La priorité, c’est de trouver un moyen de gagner sa vie », remarque Juma Douglas, 50 ans, Chef du village de Hariot.

Le temps pour se rendre dans un centre de santé n’est pas le seul problème, cela coûte également cher. « Aller au centre de Chifunga pour un dépistage du VIH coûte près de 500 kwachas malawiens, soit 1 dollar », précise Ronnick Jolodani, Chef du village de Lamia, qui appartient au groupe de villages de Chapita. Ce chef de village de 51 ans est bien placé pour le savoir puisqu’il a travaillé au centre de santé du district. Il arrive d’ailleurs que les chefs de village soient obligés de prêter de l’argent aux patients.

« Cela coûte 3 dollars d’aller à Blantyre faire le test, car il faut y ajouter le transport et l’achat de nourriture au centre de dépistage », explique le Dr Liz Corbett, qui dirige la recherche dans le cadre de cette initiative. « C’est une somme importante, sachant que le revenu moyen, ici, est de seulement 1 dollar par jour ». Le temps de trajet représente aussi de l’argent perdu à ne pas travailler. « Le test salivaire coûte 3 dollars, mais nous le distribuons gratuitement dans les communautés », ajoute le Dr Karin Hatzold.