Mbao, Sénégal – Dans un modeste complexe situé aux abords du centre de Dakar, un bâtiment blanc arborant le logo de DIATROPIX accueille l’une des entreprises de santé publique les plus audacieuses d’Afrique de l’Ouest : un site de production de tests de diagnostic qui remodèle totalement la façon dont l’Afrique se prépare, et riposte, aux épidémies majeures.
De la riposte aux pandémies à la sécurité sanitaire
Lancé en 2020 par l’Institut Pasteur de Dakar avec le soutien de FIND (anciennement la Fondation pour l’innovation dans les diagnostics) et d’Unitaid, DIATROPIX est né d’une nécessité.
Au pic de la pandémie de COVID-19, les pays africains ont été tenus à l’écart de la course mondiale aux kits de dépistage. Souvent, ils ont dû attendre des semaines, voire des mois, pour recevoir des livraisons retardées et inadaptées. La crise a exposé un manque flagrant : l’Afrique avait rapidement besoin de tests de diagnostic, qui soient abordables et fabriqués localement, non seulement pour répondre aux situations d’urgence, mais aussi pour renforcer la résilience à long terme.
« Trop souvent, la recherche finit en publications, et non en produits, explique le Dr Cheikh Tidiane Diagne, directeur des opérations chez DIATROPIX. Nous avons voulu prendre le contre-pied et créer des outils accessibles qui peuvent être déployés et portés à grande échelle, même dans les postes de santé éloignés. »
À travers le Dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre le COVID-19 (Accélérateur ACT), Unitaid et FIND ont apporté un soutien financier à hauteur de 1 million de dollars US à DIATROPIX. Parallèlement, le transfert de technologie opéré par GADx (Royaume-Uni) et Bionote (République de Corée) a permis la transmission d’un savoir-faire essentiel pour appuyer la production locale.
En 2024, la structure était passée d’une production de 2 millions à 75 millions de tests par an, un bond considérable vers l’autonomie régionale et ce que le Dr Diagne appelle le « profit social » : la santé publique passe avant les rendements du marché.
Face à la baisse de la demande de tests pour le coronavirus, l’équipe a réorienté sa production pour répondre aux menaces sanitaires qui pèsent depuis longtemps sur l’Afrique de l’Ouest et commencé à fabriquer des tests rapides du VIH, du paludisme, de la rougeole et de la fièvre jaune. Conçus pour être utilisés dans des contextes à faibles ressources, tous ces tests ne nécessitent ni électricité ni laboratoire. En élargissant son portefeuille, DIATROPIX peut à la fois répondre aux besoins urgents tout en renforçant la préparation de la région aux futures pandémies.
« Même si on ne nous demande que 1 000 tests, déclare le Dr Diagne, si cela peut sauver des vies, nous le ferons. »
Et pour des maladies comme le VIH, qui font encore et toujours l’objet d’une stigmatisation, obtenir des résultats rapides et discrets peut faire toute la différence.
Développer la science africaine au niveau local
Le modèle de DIATROPIX représente un nouveau type de système de santé, enraciné dans la science africaine, les talents locaux et l’utilité publique.
Une grande partie de sa force réside dans son infrastructure « invisible », c’est-à-dire les mécanismes et l’expertise qui se cachent derrière ses produits. L’équipe, qui ne comptait que quatre personnes au moment de son lancement, comprend aujourd’hui 44 ingénieurs, scientifiques et spécialistes en qualité, dont la plupart ont été formés dans le pays. Grâce à des initiatives telles que le Centre africain de résilience aux épidémies (CARE) et les programmes de formation MADIBA, l’Institut Pasteur de Dakar forme la prochaine génération de leaders du secteur biomédical sur le continent. MADIBA signifie Production en Afrique pour la vaccination contre les maladies et le renforcement de l’autonomie (Manufacturing in Africa for Disease Immunization and Building Autonomy), un nom qui reflète l’engagement de l’Institut Pasteur de Dakar pour le renforcement des capacités régionales.
« Des machines qui n’existaient pas au Sénégal il y a quelques années sont aujourd’hui gérées par des équipes locales, explique le Dr Diagne. Nous créons une filière composée de personnes formées localement, soutenues par des partenaires mondiaux, qui fabriquent des produits adaptés à nos réalités sanitaires. »
Le site de production représente l’un des premiers investissements majeurs d’Unitaid dans les diagnostics en Afrique, mais cette initiative ne s’arrête pas au développement de produits. Il s’agit de modifier la manière dont les pays africains accèdent à l’innovation en matière de santé et la contrôlent.
« Unitaid et FIND ont apporté un financement pour le site, mais également une assistance technique. Avec notre soutien, DIATROPIX a pu identifier ses lacunes et améliorer les capacités de son équipe afin de les corriger, tout en bénéficiant durablement du transfert de compétences et de connaissances, déclare Jérémie Piton, responsable technique chez Unitaid. C’est un rare exemple d’une intervention sanitaire qui subsiste au-delà de la crise du COVID-19, et qui renforce même de manière concrète les capacités de préparation et de riposte aux pandémies. »
Le défi de la pérennité
Toutefois, le parcours n’est pas sans obstacle. Il faut encore tenir compte de l’alignement des besoins de santé publique sur la demande du marché, des réglementations complexes et des vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement.
« Nous connaissons les besoins urgents : paludisme, tuberculose et résistance aux antimicrobiens. Mais les besoins ne se traduisent pas toujours par une demande du marché, précise le Dr Diagne. Investir dans des produits que personne n’est prêt à acheter représente un vrai risque. C’est pourquoi nous avons constitué une équipe commerciale et nous sommes associés à des spécialistes pour mieux comprendre le marché. La science à elle seule ne suffit pas pour garantir la pérennité. »
Le site de production entre maintenant dans sa phase critique, comme l’appelle Faith Mangwanya, cheffe de programme de la production régionale chez Unitaid : il s’agit de combler le fossé entre l’approbation réglementaire et la viabilité commerciale.
« Le site fonctionne à plein régime, sans revenus, dans l’attente de son approbation réglementaire, explique Mme Mangwanya. C’est pourquoi il est essentiel que les gouvernements et les partenaires procèdent rapidement à des achats, pour que cet investissement se traduise par un impact. »
Ce processus, qui comprend la validation de la production, l’élaboration du dossier et son envoi, peut prendre jusqu’à deux ans. Jusqu’à présent, les subventions ont permis de maintenir le fonctionnement du site, mais la continuité de son succès dépend des achats du pays sur le long terme.
« Pour que ce projet soit viable, prévient Mme Mangwanya, le Sénégal doit commencer à acheter, et le reste de l’Afrique de l’Ouest doit suivre. Le soutien des gouvernements est essentiel pour créer un marché intérieur durable.
Et les gouvernements n’achèteront pas simplement parce que les tests sont moins chers, ajoute-t-elle. Ils achèteront parce qu’ils verront la valeur ajoutée qu’ils représentent : la création d’emplois, la diversité de la chaîne d’approvisionnement et la résilience du système de santé. Cela va bien plus loin que le produit en lui-même »
Mme Mangwanya relève également une demande inexploitée : « Le troisième secteur – les organisations non gouvernementales, les programmes de santé communautaire et les intervenants de l’aide humanitaire – a souvent besoin de grandes quantités de tests de diagnostic, mais on en tient rarement compte dans les stratégies d’achat traditionnelles. Les fabricants locaux peuvent contribuer à répondre à cette demande. »
Surmonter les désavantages structurels
Au-delà de la demande du marché, les fabricants africains sont confrontés à des désavantages bien ancrés. De nombreuses matières premières doivent encore être importées, ce qui augmente les coûts et crée des dépendances.
« Si vous produisez uniquement du jus de pomme, mais que vous devez acheter vos pommes à une personne qui produit à la fois les pommes et le jus, vous ne pourrez jamais offrir des prix aussi compétitifs qu’elle, explique Mme Mangwanya. C’est le piège dans lequel se trouvent les fabricants africains. »
Pour faire face à la concurrence, DIATROPIX doit diversifier son offre, rationaliser ses opérations et lancer des produits utilisés massivement. Unitaid travaille avec les Centres africains pour le contrôle et la prévention des maladies, les groupements régionaux et les banques de développement afin d’agréger les demandes, de renforcer les systèmes réglementaires et de concevoir des modèles de financement mixte qui réduisent les risques d’investissement.
Une plateforme pour l’innovation
Malgré ces vents contraires, DIATROPIX poursuit sa progression. Le fabricant ne se contente pas de produire des tests, il renforce aussi son portefeuille et érige une plateforme pour l’innovation.
« Il n’y a rien d’anormal à ce qu’un institut sénégalais travaille avec des partenaires en Europe, en Chine ou aux États-Unis, la science est internationale, déclare le Dr Joe Fitchett, conseiller principal en biotechnologie à l’Institut Pasteur de Dakar. Mais nous devons améliorer les capacités et le contrôle au niveau local. »
DIATROPIX développe déjà des tests pour la rougeole, la fièvre jaune et la méningite et prévoit de s’attaquer à la rubéole, à la dengue, à la leishmaniose et à l’onchocercose. Nombre de ces maladies ont longtemps été négligées par les marchés mondiaux.
« Il a fallu 10 à 15 ans pour déployer notre vaccin contre la fièvre jaune, explique le Dr Fitchett. Pour le COVID-19, un an a suffi. Cela nous montre ce qu’il est possible de faire quand il y a urgence et que les financements ne font pas défaut. »
Il ajoute : « Permettre qu’un continent entier dépende de tests de diagnostic importés, ce n’est pas viable, et c’est aussi dangereux. Les diagnostics ont le potentiel de générer un impact comparable aux vaccins : ils permettent de détecter les maladies à un stade précoce, de briser les chaînes de transmission et, en bout de ligne, de sauver des vies. »
Et surtout, en renforçant aujourd’hui ses capacités pour lutter contre les maladies endémiques, DIATROPIX est en mesure de répondre rapidement aux épidémies et pandémies à venir.
« Chez Unitaid, nous recherchons un effet catalyseur, explique Mme Mangwanya. Résoudre un problème, accélérer la solution et, idéalement, ne plus avoir à intervenir. »
Un modèle régional pour le continent
DIATROPIX est la preuve que le concept fonctionne : des diagnostics de haute qualité, fabriqués en Afrique, par des scientifiques africains, pour les besoins de l’Afrique, et adaptés aux priorités sanitaires du continent. Le fabricant offre un modèle reproductible d’innovation régionale, de résilience et d’autonomie en produits de diagnostic.
« Nous mettons enfin en place les institutions dont l’Afrique a besoin, déclare le Dr Fitchett. Nous ne faisons pas que tester des produits : nous les fabriquons, nous possédons les technologies et nous définissons les orientations scientifiques. »
« Les gens voient l’Afrique comme une entité unique, ajoute le Dr Diagne. Mais elle compte 54 pays bien différents. Le modèle de DIATROPIX devrait être déployé dans toute l’Afrique du Nord, de l’Est, de l’Ouest et australe, en se fondant sur les partenariats, le renforcement des capacités et la mise en commun de l’expertise. »
L’initiative a contribué à façonner la réflexion stratégique de l’Union africaine et des Centres africains pour le contrôle et la prévention des maladies, et constitue désormais un point de référence pour les futurs investissements dans la production locale.
« Grâce à nos partenaires, nous bâtissons un projet qui valorise la science africaine, les solutions africaines et les vies africaines, déclare le Dr Diagne. Et c’est un modèle que nous sommes fiers de partager avec le monde entier. »
Pour Unitaid, la leçon est claire : la production régionale doit figurer à l’ordre du jour de la santé mondiale, non seulement en tant que mécanisme de riposte durant les pandémies, mais aussi comme pierre angulaire de la préparation aux pandémies.
« Pour parvenir à la sécurité sanitaire mondiale, le monde doit élargir l’accès aux tests de diagnostic, déclare le Dr Philippe Duneton, directeur exécutif d’Unitaid. En produisant des tests pour le VIH, le paludisme et d’autres maladies propres à certaines régions qui ont longtemps été négligées et en levant les obstacles à un diagnostic rapide et précis, DIATROPIX comble des lacunes importantes. Il redéfinit les limites du possible. »
« DIATROPIX démontre que la science africaine peut être à l’avant-garde en fournissant des produits de diagnostic de premier ordre fabriqués en Afrique et qui répondent aux priorités africaines en matière de santé, ajoute le Dr Ibrahima Socé Fall, administrateur général de l’Institut Pasteur de Dakar. Mais pour maintenir ces progrès, les gouvernements et les institutions régionales doivent traduire leurs engagements politiques en mécanismes concrets de financement et d’achat. La production locale n’est pas seulement un instrument essentiel de la riposte aux pandémies : elle stimule la création d’emplois, la rétention des talents et l’accès équitable à des outils vitaux, et elle garantit à toutes les communautés d’accéder aux bons outils, au bon moment. »